
La France, comme beaucoup de ses voisins européens, est une vieille puissance capitaliste sur le déclin. La débâcle récente de la France en Afrique de l’Ouest, sa principale sphère d’influence historique, est l’un des derniers clous sur le cercueil d’un impérialisme vieillissant. Au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Sénégal et en Côte d’Ivoire l’impérialisme français a dû retirer sa présence militaire, généralement remplacée par l’influence russe. Dans le giron de la superpuissance américaine, la bourgeoisie française a pu garder l’illusion d’une certaine importance sur la scène internationale. La guerre en Ukraine et le génocide à Gaza ont donné une bonne idée de la capacité de la France à peser dans les grands conflits impérialistes. Le monde entier a ignoré les gesticulations de Macron, bien conscient qu’il n’y avait qu’un seul maître à bord : Biden et l’impérialisme américain.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les bourgeoisies européennes déclinantes ont entièrement lié leur destin à l’ordre mondial dominé par les États-Unis. Tant que l’Amérique jouait le gendarme du monde, les capitalistes européens pouvaient se contenter du rôle de vassaux serviles et se concentrer sur l’accumulation de profits records. Les bourgeoisies du vieux continent ont de bonnes raisons de s’inquiéter de la nouvelle politique internationale de Donald Trump. Celle-ci apporte une dose supplémentaire d’instabilité à un capitalisme européen déjà au bord de l’effondrement.
« L’Amérique d’abord »
Trump et son slogan « L’Amérique d’abord » ne sortent pas de nul part. Ils s’inscrivent pleinement dans le déclin relatif du capitalisme américain, en particulier face à la Chine. Les États-Unis restent la principale puissance économique et militaire, produisant à eux seuls 25 % du PIB mondial. Mais en à peine 20 ans, la Chine est passée de 5 à 17 % du PIB mondial.[1] Elle dégage un excédent commercial de près de 900 milliards de dollars[2], là où la balance commerciale des États-Unis continue de se détériorer avec un déficit record de 885 milliards[3]. C’est l’une des principales sources de préoccupation pour Donald Trump. En parallèle, le capitalisme européen est passé en moins de vingt ans de 25 à 17 % du PIB mondial et poursuit son long déclin économique.
Dans un contexte de crise mondiale et de déclin relatif de l’hégémonie occidentale, Trump est déterminé à ce que les capitalistes américains gardent pour eux la plus grosse part du gâteau. En pratique, cela signifie de plus petites parts pour ses traditionnels alliés européens. L’administration Biden se caractérisait par son refus d’accepter le déclin de l’impérialisme américain. Ses interventions en Ukraine et son soutien actif envers Netanyahu avaient pour objectif de montrer que les États-Unis restaient la puissance hégémonique, qu’ils pouvaient toujours jouer le rôle de gendarmes du monde. Ces tentatives ont été des échecs cuisants en Europe de l’Est comme au Moyen-Orient. Pour trouver le dernier « succès » militaire des États-Unis, il faut désormais remonter à la guerre en Irak, il y a plus de vingt ans. L’administration Trump reconnaît ce déclin. Si Washington ne peut plus étendre sa sphère d’influence à l’autre bout du monde, il doit se concentrer sur ses zones d’intérêts prioritaires, en particulier sur le conflit dans le Pacifique et en mer de Chine, où se situe son principal rival. C’est dans cette logique que s’inscrivent les déclarations de Trump sur une potentielle annexion du Groenland et du Panama. Elles visent à réaffirmer le contrôle des États-Unis sur des zones d’intérêt stratégique vitales pour le commerce américain : l’Atlantique nord et le canal de Panama. Dans cet objectif, Trump se moque bien que le Groenland appartienne déjà à la sphère d’influence d’un de ses alliés européens. Les médias européens s’indignent aujourd’hui des menaces de Trump, oubliant hypocritement que la bourgeoisie danoise ne s’est emparée des terres des Inuits qu’en faisant preuve de la même violence, militaire comme économique.
Contrairement à ce que racontent les chantres de la démocratie libérale, la politique de Donald Trump n’est pas une anomalie. Elle répond de manière pragmatique aux intérêts du capitalisme américain, et elle le fait sans s’embarrasser des artifices moraux derrière lesquels la bourgeoisie aime habituellement camoufler la défense brutale de ses profits. Là où Biden dissimulait les intérêts des capitalistes derrière la bannière de la « démocratie » et du « droit des nations à se défendre », Trump assume clairement défendre les intérêts des milliardaires. Entre Trump, Biden et Macron, il n’y a pas d’autres différences que l’emballage. La seule chose qui agace les commentateurs bourgeois, c’est que Trump mette à nu devant les yeux des masses la brutalité des rapports de force sous le capitalisme. Si en réalité les chances sont très minces pour que les États-Unis interviennent militairement contre leurs voisins, le discours de Trump lève le voile sur la violence de la guerre économique permanente que se livrent les États bourgeois.
L’impérialisme français en crise
Cela montre bien le respect que Trump porte à ses « alliés », qu’il considère comme une sphère d’influence très coûteuse à entretenir. Les États-Unis n’ont aucune intention de payer pour le maintien de l’ancien empire français en Afrique en pleine décrépitude. La bourgeoisie française se retrouve entre le marteau et l’enclume. Contrairement à l’Allemagne, qui dépend fortement du gaz russe, la France ne peut pas simplement se réconcilier avec la Russie, qui est son principal rival en Afrique de l’Ouest. Pour préserver ce qu’il lui reste d’influence, l’impérialisme français a besoin de l’alliance américaine. Dans le même temps Trump menace de quitter l’OTAN si les pays membres n’augmentent pas leurs budgets de défense à 5 % de leur PIB.
Pour la France et ses voisins, le message est clair : il va falloir se débrouiller tout seuls, et surtout passer à la caisse. Les bourgeoisies européennes vont devoir accroître leurs dépenses militaires, ce qui signifie en pratique de nouvelles mesures d’austérité contre les travailleurs et des coupes encore plus importantes dans les services publics, dans la santé, dans les retraites, etc. La bourgeoisie a de très bonnes raisons d’être inquiète, il suffit d’imaginer ce que donnerait en France l’annonce d’une nouvelle vague de mesures d’austérité au milieu de la crise politique actuelle. Mais tôt ou tard, si elle veut maintenir son rang, la bourgeoisie française sera obligée d’attaquer encore plus brutalement les conditions de vie de la classe ouvrière.
L’instabilité que nous observons aujourd’hui sur la scène internationale aura des conséquences majeures sur la politique intérieure de l’ensemble des pays capitalistes. Le déclin de la bourgeoisie française et européenne pousse déjà les capitalistes à avancer en terrain miné et à appliquer plan d’austérité sur plan d’austérité. Le retrait des États-Unis, ne serait-ce que sur le plan militaire, vient encore fracturer la domination déjà fragile des bourgeoisies du vieux continent. Le mouvement ouvrier doit entrer dans la brèche et mobiliser massivement non seulement contre les mesures d’austérité, mais aussi pour renverser le capitalisme européen vieillissant. La survie de la bourgeoisie française dépend désormais de sa capacité à nous faire payer son propre déclin, et elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas rétabli sa compétitivité au prix du sang de la grande masse des travailleurs. La seule solution pour se débarrasser une fois pour toutes de l’austérité, c’est de mettre le dernier clou dans le cercueil de l’impérialisme français.