L. Caran, 12 avril 2025
La récente condamnation de Marine Le Pen à 5 ans d’inéligibilité a été accueillie positivement par des millions de jeunes et de travailleurs. Dans une période où la bourgeoisie et ses médias donnent en permanence une tribune à l’extrême droite, ce verdict pourrait être perçu comme un revirement. C’est tout le contraire. Les manœuvres de Macron pour disqualifier Le Pen ne vont absolument pas à l’encontre des intérêts des capitalistes français. Et elles n’empêcheront pas le moins du monde la montée du RN.

Le caractère « sacré » des institutions
Au lieu de dissiper l’illusion d’une justice indépendante, les dirigeants réformistes l’entretiennent activement. La plupart d’entre eux présentent cette condamnation comme un sursaut de « l’État de droit » face à l’extrême droite et à la corruption, à l’image du PS qui a lancé une pétition en soutien aux magistrats. Chez les Verts, Marine Tondelier a appelé à une mobilisation pour « défendre notre État de droit ». Au PCF, Roussel rappelle que « La justice est la justice », « que l’on soit puissant ou misérable ». Comme tout le monde le sait, en France, un milliardaire et un citoyen lambda sont parfaitement égaux devant la loi… Et lorsque le PDG du groupe Lagardère reçoit un traitement plus que clément dans son procès pour fraude fiscale, on s’attend à ce que n’importe quel travailleur soit traité avec la même mansuétude. En réalité, chaque passage au tribunal d’un grand capitaliste montre bien que la justice est aveugle à tout, sauf à leur fortune !
Comme toujours, le PS, les Verts et le PCF se couchent rapidement face à la moindre pression de la bourgeoisie. Une fois n’est pas coutume, ils défendent religieusement la même position que Bayrou.
Du côté de La France insoumise, la réaction est un peu différente. Mélenchon défend que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ». Il a bien compris que la manœuvre utilisée aujourd’hui pour disqualifier Le Pen sera utilisée contre lui demain. Dans son discours du 3 avril, il déclarait que « Le Rassemblement National n’avait pas reculé d’un mètre dans ce pays après qu’elle ait été condamnée, c’est peut être même l’inverse ». C’est tout à fait juste, mais cela ne l’empêche pas de se réfugier, comme l’ensemble des dirigeants de la FI, derrière le caractère sacré du droit. Au final, ses arguments sont les mêmes que ceux de Fabien Roussel : « tout le monde doit être à égalité devant la loi ». La seule différence est que Mélenchon défend le droit de Le Pen à faire appel « comme tout le monde », et des peines plus légères que son homologue droitier.
La justice et l’État de droit
En réalité, le problème de la justice ne réside ni dans le parti au pouvoir, ni dans le manque de moyens, pourtant bien réel, de l’institution. Il réside dans la nature même de l’État bourgeois. Si, comme Mélenchon l’affirme, la justice est rendue « au nom du peuple français », elle n’est en aucun cas la justice du peuple, et elle ne l’a jamais été.
Mélenchon se contente de répéter ce que l’État bourgeois dit de lui-même, au lieu d’expliquer ce qu’il est réellement. L’État français se présente depuis toujours comme l’État du peuple français, mais il n’a jamais été autre chose que l’État des capitalistes français. Comme l’expliquait Marx, c’est « un organisme de domination de classe » qui n’a cessé de défendre les droits des classes possédantes contre ceux de l’écrasante majorité du « peuple ».
Au lieu de dévoiler la nature de cet État, les réformistes brandissent le vieux Contrat Social et nous expliquent que la défiance envers la justice est une spécificité de l’extrême droite. À ce stade de crise profonde du capitalisme, de plus en plus de jeunes et de travailleurs remettent en question « l’État de droit » et ses institutions. Mais au lieu d’en profiter pour attaquer l’État bourgeois, les dirigeants réformistes continuent à défendre les instruments de la classe dominante.
C’est la même chose lorsque Mélenchon dénonce le risque « séditieux » de la manifestation d’extrême droite en soutien à Marine Le Pen. Le rassemblement du 6 mai n’est pas un problème dans la mesure où il menacerait la République et ses institutions, son problème est d’être une manifestation réactionnaire organisée par des ennemis de notre classe. Le message envoyé par les réformistes aux travailleurs est catastrophique : « Nous défendons la République et la Justice ; si vous y êtes opposés, vous êtes dans le camp de Marine Le Pen. »
Cette politique ne peut que renforcer le RN, qui va pouvoir, une fois encore, se présenter comme « anti-système » à peu de frais et sans véritable concurrence. En continuant ad nauseam à défendre « l’État de droit » et les institutions, les dirigeants réformistes désarment la classe ouvrière et déroulent le tapis rouge à Marine Le Pen.
Il suffit d’observer la situation actuelle aux États-Unis pour constater l’impasse de cette orientation. Pour faire barrage à Donald Trump, Bernie Sanders a soutenu de toutes ses forces les institutions, Biden, et le Parti démocrate. Ce faisant, il a laissé tout l’espace à Trump pour se présenter comme la seule alternative au système actuel. Ni les multiples poursuites judiciaires, ni le soutien des réformistes à « l’État de droit » et aux institutions américaines n’ont empêché Trump d’être réélu. Le mouvement ouvrier en France doit en tirer les leçons. Dans une période de polarisation politique comme la nôtre, la seule manière de battre l’extrême droite est de présenter une alternative anti-système à gauche, contre la bourgeoisie, ses institutions et son « État de droit ».