E. Swan, 6 mars 2025

Le projet de loi de finances 2025[1] prévoit 2,2 milliards d’euros de coupes budgétaires pour les collectivités territoriales, ce qui se soldera par des milliers de suppressions de postes dans la fonction publique. Dépouiller ce qu’il reste de services publics est décidément le sport national ! Supprimer des postes et attaquer les conditions de travail des agents de la fonction publique entraîne la disparition des prétendus services « d’intérêt général ». En réalité, ceux-ci servent surtout de caution sociale aux gouvernements, sans jamais sortir les plus démunis de la pauvreté. En faisant ces coupes budgétaires, les gouvernements successifs jouent avec nos vies. Au sein de la collectivité territoriale dans laquelle je travaillais, le « fonctionnaire fainéant » occupait déjà en moyenne les postes de deux personnes (ou plus !) essentielles au bon fonctionnement des services rendus : aides sociales, logements, santé, éducation… Dans l’un des pays les plus riches du monde, le « gel des salaires » des fonctionnaires contraignait mes collègues à prendre des petits boulots le weekend pour mettre du beurre dans les épinards. Nous n’avions même pas accès à une machine à café ! Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres !
Conditions de travail
Lorsque je suis arrivée au Département, dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en environnement, j’ai été parachutée sur le poste d’un fonctionnaire polyvalent. Je remplissais donc les rôles de technicienne, de chargée de mission et d’agent administratif selon le bon vouloir de mes supérieurs hiérarchiques. Concrètement, cela signifiait qu’au cours d’une même journée, je pouvais être amenée à passer des commandes de matériel, animer une réunion puis courir sur le terrain pour installer des panneaux d’information, tout en espérant ne pas dépasser 7 heures de travail. Dans le cas contraire, je ne pouvais ni récupérer ces heures supplémentaires en temps de repos, ni même me les faire payer (sauf aval hiérarchique, par un alignement exceptionnel des planètes !). Ces missions étaient donc effectuées à moindre coût pour la collectivité, en échange d’un salaire au SMIC, sans frais de formation et sans contestation, car tout contractuel est bien conscient d’être assis sur un siège éjectable. Comme nombre de mes collègues, j’ai dû lutter contre ma hiérarchie pour obtenir un Équipement de Protection Individuelle (EPI) afin d’effectuer un travail de terrain potentiellement mortel. Je devais en effet percer des trous dans la roche, sans casque de protection et dans une falaise où les chutes de pierre étaient quotidiennes. Suite à cette mise en danger, j’ai décidé de me syndiquer, bien que l’on m’ait “ fortement déconseillé ” de le faire, si je souhaitais le renouvellement de mon contrat. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé la marge de manœuvre réelle dont bénéficiait la direction de la collectivité pour attaquer le droit du travail : menaces, obstruction à l’autorisation d’absence syndicale, blocage de l’évolution de carrière, pratiques de mises au placard, harcèlement… La direction de l’institution a même passé sous silence le suicide d’une fonctionnaire, bien que plusieurs agents aient réclamé un soutien psychologique suite à ce drame.
Prime inflation : le mépris de la bureaucratie
Face à la colère qui s’accumulait, la direction de la collectivité a réagi en accordant une prime inflation. Tandis que la hiérarchie des fonctionnaires s’octroyait de généreuses primes pour services rendus à la collectivité de manière arbitraire, les agents du bas de l’échelle voyaient leur prime inflation se réduire à peau de chagrin. Tant et si bien qu’ironiquement, le bénéfice de cette prime ne pouvait compenser l’inflation ! Car pour la distribution de la prime inflation, il n’y a pas de règles, sauf celle du temps de travail, qui pénalise une fois de plus les familles monoparentales (essentiellement des femmes), contraintes d’opter pour des temps partiels. Enfin, selon un chef de service, « 200 euros de prime c’est déjà bien pour des gens comme vous ! ». Voilà de quoi rassurer les travailleurs face à la crise ! En réalité, entre eux et leurs exploiteurs, c’est une lutte irréconciliable qui s’engage, et elle ne prendra fin qu’avec le renversement de ce système capitaliste pourri jusqu’à la moelle.