Hector P., 20 mars 2025
Le pays connaît actuellement l’un des plus grands mouvements de masse de son histoire, et pourtant les médias français parlent peu de la situation politique en Serbie. On peut comprendre leur réticence. En quelques mois, les étudiants et les travailleurs serbes ont paralysé le régime et forcé le Premier ministre à la démission. En usant de la grève générale, le mouvement a réduit à l’impuissance leur classe dominante corrompue, et menace désormais de s’attaquer aux fondations du régime. Les médias français et européens sont terrifiés à l’idée de voir la même chose se produire chez eux.

L’origine du mouvement
En novembre 2024, l’effondrement du toit récemment rénové d’une gare en Serbie a été la goutte de trop dans un pays rongé par la corruption. Un mois plus tard, les étudiants lancent la mobilisation contre le gouvernement, bientôt suivis par des dizaines de milliers de manifestants. 62 sur 80 universités sont bloquées. Par son ampleur, sa puissance et sa structuration, il s’agit de l’un des plus grands mouvements étudiants en Europe depuis mai 68.
La jeunesse s’organise et refuse de laisser le gouvernement cacher son vaste système de corruption. Des milliers de manifestants bloquent les rues, et scandent des slogans contre le président.
Les premières revendications étaient purement démocratiques : contre la corruption et pour la justice. Mais certains comprennent déjà les limites de ces attentes et appellent au renversement du gouvernement, voire à l’amplification et à la structuration du mouvement. C’est la voie à suivre.
Nous avons recueilli le témoignage d’une étudiante serbe, qui nous explique qu’au départ, le mouvement avait trois demandes claires :
- La documentation complète et une transparence concernant la chute de la voûte ferroviaire ;
- La poursuite et l’identification des personnes qui ont attaqué les étudiants de l’université d’art de Belgrade, ainsi que certains citoyens, alors qu’ils rendaient hommage aux victimes ;
- L’abandon de tous les chefs d’accusation contre les manifestants et les activistes qui ont été emprisonnés. « Ce sont les demandes initiales qui ont été soumises à la branche judiciaire du gouvernement. Les étudiants attendent de l’exécutif qu’il cesse de s’immiscer dans les affaires des autres et qu’il laisse les fonctionnaires des tribunaux et des ministères, ainsi que du Parlement, faire leur travail sans interruption et sans préjugés. Nous espérons également pouvoir traduire en justice ceux qui ont abusé de leur position pendant qu’ils étaient au pouvoir et qui ont été corrompus, et mettre à leur place des personnes honnêtes, travailleuses et morales. »
La classe ouvrière ne peut compter que sur ses propres forces
Ces revendications contiennent toute la bonne volonté, mais aussi toutes les illusions des masses sur la nature du régime. En Serbie comme en France, les aspirations démocratiques les plus élémentaires des travailleurs et de la jeunesse ont un caractère éminemment progressiste. Mais elles entrent violemment en contradiction avec la réalité des gouvernements bourgeois et la nature de leur État.
Sous le capitalisme, l’État de droit ne peut être que celui du droit des riches contre le droit de la majorité de la population. Dans ce cadre, la séparation des pouvoirs n’est qu’une illusion. Le peuple verra rapidement qu’il ne peut pas faire confiance aux gouvernements et aux tribunaux bourgeois, quels qu’ils soient, pour éradiquer la corruption.
Le résultat de la manifestation du 15 mars montre que pour que le mouvement aille plus loin, la classe ouvrière doit prendre le pouvoir entre ses propres mains. 300 000 personnes ont défilé dans les rues de Belgrade, un record historique pour la Serbie, mais le gouvernement refuse de lâcher. Le président Vučić a montré qu’il ne céderait pas et qu’il était prêt à employer tous les moyens de répression nécessaires contre le mouvement.
Pour le renverser, les manifestants ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Le régime ne se réformera pas de l’intérieur. Les étudiants et les travailleurs doivent s’organiser massivement pour faire appliquer leurs revendications eux-mêmes. C’est cette perspective qui terrifie les médias et la classe dominante. Aujourd’hui, la Serbie nous montre l’exemple, à la jeunesse et aux travailleurs d’Europe de le suivre !