L. Punjo, 6 mars 2025
La prise de parole de nombreuses femmes avec le phénomène #MeToo a révélé le dysfonctionnement flagrant du système judiciaire face aux affaires de violences sexistes.
Ces dernières années n’ont pas manqué d’exemples répugnants du sentiment d’impunité des agresseurs et de l’inefficacité de la justice dont les procédures ne font qu’exposer les victimes à plus de violences.

Lors du procès des viols de Mazan, la journaliste Anna Margueritat témoignait de l’attitude décontractée et provocatrice de nombreux accusés qui pouvaient s’amuser de la situation, jeter des regards insistants aux femmes de la salle d’audience ou faire un doigt d’honneur à la journaliste pendant le procès. Nombre d’entre eux ont plaidé des justifications ignobles et irréalistes pour minimiser leurs actions. Le principal coupable, Dominique Pélicot, était un récidiviste déjà connu des services de police. Son ADN avait été trouvé sur la victime d’une tentative d’agression sexuelle en 1999. Il a également révélé qu’il filmait régulièrement sous les jupes des femmes depuis l’âge de 14 ans. Il a d’ailleurs été arrêté en 2010 pour une telle affaire. Pourtant, il a pu continuer ses crimes sans être inquiété, orchestrant pendant dix ans le viol de sa propre femme et de sa fille. Les médecins de la victime, Gisèle P., n’ont pas davantage été capables de détecter l’horreur de la situation, malgré qu’elle se soit plainte à plusieurs reprises de signes révélateurs : douleurs gynécologiques, infections sexuellement transmissibles, absences et endormissements diurnes.
Face à ces violences, le gouvernement oscille entre des faux-semblants de condamnation et un soutien total aux agresseurs : au dernier remaniement, Darmanin, accusé de viol et de harcèlement sexuel, a été nommé à la Justice ! De même, lorsque 19 témoignages de harcèlements, d’agressions sexuelles ou de viols ont été dévoilés à l’encontre de l’acteur Depardieu, Macron lui a apporté son soutien officiel : « Je suis un grand admirateur de Gérard Depardieu. […] Il rend fière la France ». Plus récemment, l’affaire Betharram a clairement montré la participation des plus hauts sommets de l’État au camouflage des agressions, surtout lorsqu’elles sont commises par des hommes au statut social élevé.
Aux États-Unis, le procès extrêmement médiatique d’Amber Heard et de Johnny Depp a révélé la violence que peut subir une femme lorsqu’elle essaie de parler. Heard a subi un harcèlement continu d’une grande violence sur les réseaux sociaux, avec le soutien tacite des médias bourgeois, alors même que la justice officielle avait reconnu la véracité des violences conjugales qu’elle subissait.
De nombreuses affaires ont également remis en lumière la situation des femmes qui essaient de protéger leurs enfants des violences du mari. Souvent, elles ne sont pas crues et le procès se retourne contre elles. Accusées d’être des « mères aliénantes », l’enfant est confié au père violent. Le « syndrome d’aliénation parentale » est complètement discrédité par la recherche scientifique, pourtant celui-ci est toujours utilisé pour décrédibiliser les mères qui portent plainte contre leurs ex-maris.
Ces exemples ne sont que quelques-uns parmi les plus récents. Mais ils suffisent à illustrer le climat dans lequel les femmes victimes évoluent. Considérées a priori comme des menteuses vénales et ridicules, elles doivent supporter financièrement et psychologiquement des années de procédures judiciaires, l’exposition médiatique et l’absence de soutien des instances sociales.
Les institutions bourgeoises condamnent ces violences sur le papier. Alors pourquoi ce système se révèle-t-il totalement incapable de protéger ces femmes et ces enfants ? La réponse ne réside ni dans la difficulté particulière des affaires, ni dans l’incompétence individuelle des juges ou la malveillance innée des hommes. Elle se trouve dans les intérêts fondamentaux du système capitaliste.
Sexisme et capitalisme
La division de la société en classes a pris racine avec la formation de la famille patriarcale. Bien qu’il ait déjà pu exister une division sexuelle du travail pendant la préhistoire, celle-ci ne s’accompagnait ni d’une hiérarchie des deux sexes, ni d’un mépris pour l’un d’entre eux. Avec l’avènement de l’échange marchand en revanche, la femme a été reléguée dans la sphère privée pour s’occuper du foyer. Peu à peu, son travail est devenu méprisé et invisibilisé. Les hommes, quant à eux, ont pris le rôle central dans la société. Ils deviennent propriétaires de la terre, des moyens de production, de leurs femmes et de leurs enfants. Ils sont les seuls à pouvoir participer à la vie sociale par l’exercice du travail, du commerce et de la vie démocratique.
Engels explique ce processus dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État :
« Dans l’ancienne économie domestique communiste, qui comprenait beaucoup de couples conjugaux avec leurs enfants, la direction du ménage, confiée aux femmes, était une industrie publique de nécessité sociale, au même titre que la fourniture des vivres par les hommes. Avec la famille patriarcale, et plus encore avec la famille individuelle monogamique, il en alla tout autrement. La direction du ménage perdit son caractère public. Elle ne concerna plus la société ; elle devint un service privé ; la femme devint une première servante, elle fut écartée de la participation à la production sociale. »
« Le renversement du droit maternel fut la grande défaite historique du sexe féminin. Même à la maison, ce fut l’homme qui prit en main le gouvernail ; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de l’homme et simple instrument de reproduction. »
Chaque système a par la suite transformé cet héritage d’oppression pour l’adapter à ses besoins spécifiques. Le capitalisme ne fait pas exception et a développé le sexisme à un niveau monstrueux.
En premier lieu, les rôles de genre servent à perpétuer la famille nucléaire : les femmes doivent entretenir le foyer, permettre à l’ensemble des membres de la famille (et en particulier aux hommes) d’aller travailler chaque jour en leur préparant du linge propre, un ventre rempli et une maison utilisable. Elles doivent ensuite s’occuper de ceux qui ne peuvent pas travailler (les enfants et les personnes âgées), doivent apporter un soutien psychologique face à la violence de la société, etc. Les rôles de genre servent à justifier tout ce travail gratuit des femmes au sein des foyers.
La famille, avec ses rôles de genre, permet également d’assurer l’héritage dans les familles bourgeoises et d’éviter sa dispersion. Les femmes sont contraintes à la monogamie et violemment condamnées en cas de transgression tandis que l’adultère des hommes est officieusement autorisé, notamment dans le cadre de la prostitution. Mais il s’agit de bien différencier les femmes mariées des prostituées qui troublent le mariage : la vie sexuelle des femmes hors reproduction est diabolisée et doit impérativement être soumise au désir du chef de famille exclusivement.
Parce que le capitalisme est un système qui cherche avant et par-dessus tout le profit, l’héritage du sexisme est également utilisé à des fins marchandes sans aucune considération morale. Les capitalistes commercialisent toute une série de produits genrés et sont prêts à vendre jusqu’au corps même des femmes.
De même, comme toutes les formes d’oppressions, l’inégalité de traitement entre les sexes permet de créer une compétition sur le marché du travail qui justifie une baisse de l’ensemble des salaires.
Enfin, ces préjugés jouent également un rôle de division du mouvement ouvrier : la bourgeoisie nous explique que les hommes et les femmes sont incapables de s’unir. Elle dit aux hommes : « Les femmes sont trop sensibles et irréfléchies, elles vont saboter vos luttes, vous décrédibiliser », et aux femmes : « La politique n’est pas pour vous, vous n’êtes pas à la hauteur, restez plutôt des travailleuses bien disciplinées ! »
Le sexisme sert fondamentalement les intérêts économiques et politiques du capitalisme. C’est pourquoi il diffuse la misogynie à travers tous ses canaux et crée une production culturelle immonde qui valorise la violence des hommes et la vulnérabilité des femmes. Les garçons apprennent ainsi à être violents, à enfouir leurs émotions et à humilier les femmes ; et les femmes à se montrer discrètes, fragiles, à n’avoir comme valeur que la désirabilité qu’elles réussissent à induire et comme seul objectif la maternité.
Dans ce contexte, il est tout à fait cohérent que les systèmes judiciaires à travers le monde soient incapables de traiter efficacement les affaires de violences sexistes. La justice n’est qu’un des outils de l’État bourgeois pour défendre ses intérêts de classe et assurer la coercition de la classe ouvrière. C’est pourquoi cette justice a deux poids, deux mesures. Comme l’actualité ne manque pas de nous le rappeler, il est plus rapide et facile de condamner un manifestant ou un jeune dealer que de condamner les détournements de fonds ou les agressions sexuelles d’entrepreneurs influents, d’hommes politiques ou de célébrités. Cela n’a rien d’un dysfonctionnement de la justice ; c’est au contraire exactement son rôle : protéger les intérêts des capitalistes et punir ce qui les met en danger, tout en préservant un semblant de sentiment de justice et de sécurité au sein de la population.
En tant qu’outil de domination, la justice doit donc également assurer la reproduction du système familial patriarcal. Face aux contestations grandissantes de la classe ouvrière, elle ne peut pas non plus rester de marbre, au risque d’embraser la colère. Elle se retrouve ainsi face à une tâche bien difficile qui consiste à la fois à punir le sexisme et à l’encourager.
La recherche du profit et la volonté de protéger son système imposent au capitalisme la perpétuation de l’oppression sexiste. Ainsi, peu importent les lois égalitaires qui passent, les progrès en matière d’éducation, de prise de parole et de représentation des femmes, la lutte contre le patriarcat ne peut aboutir qu’avec le renversement de ce système.
Sous le socialisme
Sous le socialisme, il est évident que les préjugés ne disparaîtront pas tous en un clin d’œil. En définitive, notre manière de penser est avant tout le reflet de la société. L’enjeu ne se limite pas simplement à la transmission des préjugés d’une génération à l’autre, mais concerne l’ensemble du fonctionnement de la société, qui produit incessamment de la propagande qui formate notre manière de penser de façon à défendre le système économique en place.
Le socialisme met les moyens de production et de distribution (usines, entreprises, banques, services, etc.) entre les mains de la démocratie ouvrière (dont les femmes !).

Ce système permettrait de récupérer toute la plus-value pour l’investir dans nos besoins réels. Les femmes, comme chaque personne, auraient leur indépendance économique assurée par l’attribution d’un logement, d’un travail, par l’accès aux soins, etc.
Cela permettrait aussi de socialiser le travail domestique. Cela signifierait, la prise en charge gratuite par des services publics de bonne qualité des tâches ménagères, du soin des enfants ou autres personnes dépendantes, ainsi que le développement de cantines publiques, de laveries, etc.
Cette transformation économique induirait une émancipation des femmes telle que l’Histoire n’en a jamais connue.
Les relations interpersonnelles seraient radicalement transformées. Débarrassées des questions financières (dépendance matérielle, intérêts, compétition), les unions pourraient se faire librement sur le seul motif du désir mutuel, de l’estime de l’autre et du bonheur qu’elles engendrent. Aucun intérêt financier ne viendrait empêcher l’assistance et la protection des victimes.
Le système socialiste n’a aucun intérêt dans le système sexiste qui fonde la société de classes. Au contraire, il doit le détruire jusqu’au bout pour enraciner son propre fonctionnement et ses propres valeurs : une société où chacun participe selon ses capacités et reçoit selon ses besoins.