H. Dubois, 6 mars 2025

Malgré une saison acclamée par tous, il y a de quoi être déçu par la fin d’Arcane, la série d’animation désormais cultissime du studio Fortiche.
Ce produit d’appel financé par Riot Games avait pour but initial de faire la publicité de leur poule aux œufs d’or, le jeu compétitif en ligne League of Legends. Non content d’être un petit bijou d’animation, ce qui ne devait être qu’un beau panneau publicitaire au design soigné avait obtenu un supplément d’âme lors de sa première saison. Un spectre révolutionnaire, sur fond de lutte des classes entre deux villes rivales.
Une révolution manquée
Son intrigue tournait autour d’un conflit sans fin entre les bourgeois de Piltover, la ville haute aux belles dorures et les prolétaires de Zaun, la ville toxique tout en nuances de vert et de violet. Dans son premier acte, la série démontre avec beaucoup de justesse l’absurdité du pacifisme face à de riches marchands, qui n’hésitent jamais à envoyer des cohortes de flics en armure de robocop tabasser et tuer à tour de bras pour faire tourner la boutique. La série nous propose ensuite, dans son second et troisième acte, de suivre les affres d’un indépendantiste imparfait, violent mais humain, nommé Silco. Ses méthodes terroristes ne le rendant pas suffisamment antipathique au goût des showrunners, la série s’efforcera de l’enfermer dans un rôle de mafieux. Ce jusqu’à son élimination et la prise en charge de sa révolution par son héritière spirituelle, Jinx.
Dans cette saison 2, le générique nous montre Jinx sous des atours de Louise Michel remuant un drapeau rouge au milieu des cendres… mais la révolution n’aura pas lieu. Jinx se construit peu à peu en figure messianique, et de nombreux habitants de Zaun se teignent les cheveux en bleu pour suivre son exemple. Tout est mis en place pour que tout explose, mais il ne se passera rien. On observe Piltover sombrer dans une dictature militaire, sous la peur grandissante que le prolétariat ne se soulève, on se dit que la révolte ne saurait tarder… Pourtant, le dénouement de la série, tel un final de film Avengers, se termine sur l’union sacrée de tous les protagonistes face à une menace venue d’ailleurs, une armée de mutants dirigée par un savant fou déterminé à transformer tous les humains en machine… Tout le monde est réconcilié et tant pis si les habitants de Zaun respirent toujours des gaz toxiques.
Qui finance, décide
Alors pourquoi Fortiche a-t-elle glissé la révolution sous le tapis ? D’une part, si le scénario se disperse autant, c’est parce que Riot Games doit vendre son produit et montrer un maximum de personnages qui seront jouables ensuite sur League of Legends. On improvisera par exemple une intrigue sortie de nulle part et des pouvoirs surpuissants au personnage de Mel. Nul doute qu’il s’agit ici d’une demande de Riot Games pour préparer la sortie d’un nouveau personnage, ainsi que la commercialisation d’une nouvelle série. Peut-être aussi qu’une série ayant pour terme principal une lutte de classes, culminant dans une révolution, aurait été une mauvaise publicité pour Riot Games, et son propriétaire le géant capitaliste Tencent (Epic Games, Fortnite, Snapchat…). Riot Games vient justement d’instaurer un système de loterie dans la boutique de League of Legends, permettant d’obtenir des cosmétiques virtuels en déboursant la modique somme de 250 euros. Cela s’accompagne de la suppression de récompenses en jeu, des coffres qui permettaient d’obtenir certains cosmétiques gratuitement. Ces méthodes rapaces sont farouchement détestées par une grande partie des joueurs, qui n’ont pas manqué de le faire savoir à Riot Games. Pas étonnant que le studio ne soit pas pressé d’expliquer à leur public que se soulever face aux riches qui les exploitent est une chose morale, encore moins une chose faisable !
La vraie morale d’Arcane, c’est que lorsqu’un produit culturel saisit l’ère du temps, et adopte un propos radical, voire révolutionnaire, ça ne peut jamais aller trop loin… Les commerciaux à la tête de ces projets s’assurent bien que les intérêts financiers soient respectés, tant pis si les artistes doivent expliquer aux fans qu’ils avaient « mal compris » le propos de l’œuvre. S’ ils peuvent esquiver facilement la révolution dans la fiction … Dans la réalité, elle les rattrapera.