Jab, médecin hospitalier, 6 mars 2025

On pourrait penser que la gestion quotidienne des entrées et sorties dans les services d’hospitalisation devrait avoir à cœur en priorité la santé des patients. Pourtant, l’hôpital se heurte continuellement à un manque de moyens. Nos services sont tenus de répondre à un objectif principal : la réduction des coûts. Un fonctionnement qui ne permet pas au patient d’avoir une prise en charge optimale et détériore autant la qualité des soins que les conditions de travail du personnel médical.
L’hôpital au bord du gouffre
Dès qu’un patient sort de l’hôpital, il doit faire place à un autre patient venant de son domicile ou du service des urgences.
La majorité des services fonctionne à flux tendu : il n’y a pas un seul lit qui ne soit pas occupé en permanence par un patient. La demande d’hospitalisation impose une liste d’attente dans laquelle les patients sont listés par ordre de priorité. Ce triage des patients rythme le quotidien et le travail des soignants dans les services d’hospitalisation.
Bien que la saturation des services et la pratique du triage aient été exposées de manière spectaculaire durant la crise du COVID-19, ce problème existe depuis bien longtemps et a déjà été l’objet de nombreuses manifestations. L’offre hospitalière joue en permanence avec les limites et ne permet pas de gérer les situations de crise sanitaire.
Cette crise hospitalière déborde sur le soin à domicile. Les soins y deviennent plus lourds, plus complexes et doivent être gérés en dehors de l’hôpital par des professionnels déjà dépassés en termes de moyens : auxiliaires de vie, infirmiers et médecins généralistes libéraux. Des entreprises en ont profité pour développer des structures privées comme les services d’hospitalisation à domicile (HAD), qui proposent notamment l’accès aux patients à une pharmacie hospitalière ainsi qu’une astreinte médicale téléphonique 24/7. Ces services sont connus pour soumettre leurs employés à des conditions de travail extrêmement intensives (gardes, roulements très fréquents, déplacements, situations cliniques complexes, nombre important de patients à suivre). De plus, ces soins ne remplacent pas une véritable hospitalisation et ne règlent absolument pas la question de la surcharge des hôpitaux.
Aux urgences, la situation est critique en permanence. Les urgences du CHU de Montpellier ont accueilli 63 600 passages en 2024, soit une augmentation de 8.5% par rapport à 2023 [1]. Le temps d’attente se compte en dizaines d’heures. Les patients qui viennent pour des situations qui ne relèvent pas des urgences sont montrés du doigt comme les coupables. En réalité, ils ne sont absolument pas le problème : ils sont redirigés vers les maisons médicales de garde ou… ne sont tout simplement pas pris en charge. Les temps d’attente et la sensation de crise permanente aux urgences sont dues à la crise de l’offre d’hospitalisation. Les patients ayant besoin d’être hospitalisés, qui finissent aux urgences faute de place et de moyens à domicile, doivent attendre dans une salle de consultation (ou box), ce qui paralyse le flux d’admission. Quand les boxs sont saturés, il nous reste… les couloirs.
Le financement des hôpitaux
La crise de l’offre hospitalière est directement liée au fonctionnement du financement des soins. L’allocation des ressources aux structures (et aux différents pôles de soin) dépend de la performance des hôpitaux, du type et du volume de soins. Ce sont les actes les plus techniques et rapides qui seront privilégiés en termes de moyens alloués : les hôpitaux de jour, la chirurgie ambulatoire… au détriment des lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) qui, eux, permettent de désengorger les urgences. Ainsi, entre 2013 et 2023, 43500 lits d’hospitalisation complète ont été fermés [2], et c’est principalement ce qui met les services d’urgence en tension permanente.
Le capitalisme a montré son incapacité à résoudre les problèmes de nos hôpitaux, dont l’état continue de se dégrader. Le personnel médical doit faire avec les moyens du bord et est forcé contre sa volonté à trier les patients et à faire des sacrifices sur la qualité des soins : 49 % des salariés du secteur médical déclarent recevoir des injonctions contradictoires et faire des choses qu’ils désapprouvent [3]. Résultat, 98% des soignants déclarent avoir déjà ressenti les symptômes de l’épuisement professionnel à un moment ou à un autre de leur carrière [4]. Les objectifs financiers (réduction des coûts, salaires, matériel), qui découlent directement du système économique, sont en contradiction totale avec la réalité du travail médical et soignant. Pour en finir avec l’aliénation des soignants, qui sont déchirés entre leur volonté de soigner et les objectifs qu’on leur impose, pour que les patients soient traités humainement, nous devons changer radicalement de mode de production. La question des soins doit revenir entre les mains du personnel médical et des patients. C’est une question de dignité humaine que d’arracher les hôpitaux aux mains des financiers et des institutions bureaucratiques qui défendent les mêmes intérêts.