
Au printemps dernier, la France insoumise a relancé sa campagne pour l’avènement d’une 6e République. L’idée n’est pas nouvelle, c’est une marotte de Jean-Luc Mélenchon depuis plusieurs années. Elle part d’un constat simple : la 5e République reposerait sur des concepts inadaptés à une véritable vie démocratique en France.
Ainsi, Mélenchon et les cadres de LFI prônent la création d’une nouvelle République, basée sur une Constitution toute neuve.
Cette dernière serait décidée par une Assemblée constituante composée d’un certain nombre de citoyens « ordinaires ». Cela permettrait, d’après LFI, de placer le peuple au premier plan de la vie politique et d’assurer une démocratie qui ne serait pas gouvernée par des élites, mais qui serait réellement au service de l’intérêt collectif. Ces idéaux, toute la gauche en rêve la nuit !
Bonne analyse, mauvaises conclusions
Lors du meeting du 30 mars 2025 à Montpellier, les députés de la France insoumise ont lancé leur campagne pour la 6e République, qui a duré tout le printemps. Leur constat est le suivant : nous faisons face à une crise de régime, en France et dans le monde. Ils avancent plusieurs raisons à cela. Nous vivons dans un pays gouverné par les milliardaires et non par le peuple (en effet). L’urgence écologique a atteint un niveau catastrophique et il faut faire en sorte de « ne pas prélever davantage à la nature que ce qu’elle peut reconstituer » (c’est vrai). Le capitalisme « néo-libéral » est aujourd’hui dans une impasse (certes). Les idées et actes racistes se banalisent en France, etc, etc…
Nous formulons bien évidemment les mêmes constats que LFI face à la situation actuelle. Cependant, suite à cette analyse, les députés insoumis déclarent que la racine du problème se situerait dans… La 5e République et ses institutions ! Dès lors, la solution serait limpide : réécrire la Constitution afin de donner « un véritable pouvoir au peuple ».
Si Manuel Bompard cite Jaurès pour dire que « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » et que les discours des trois députés comportent des piques contre « les milliardaires » et « les ultra-riches », il n’y est jamais question de rompre avec le capitalisme, ni d’exproprier qui que ce soit. Évidemment, un parti réformiste ne tirera jamais de conclusions révolutionnaires, quand bien même tout son raisonnement l’y conduirait.
Les paroles et les actes
La plupart des gens ne croient pas (encore) à la possibilité d’une révolution qui amènerait à un véritable État ouvrier. Ils considèrent les marxistes comme des utopistes, attendant un changement qui ne viendra jamais. Lorsqu’on a intégré cette propagande mais qu’on aspire tout de même à une société plus juste, la proposition de la France insoumise peut passer pour la meilleure stratégie – pas une stratégie parfaite, mais la plus réaliste.
Dans ce cas, admettons que la France insoumise arrive au pouvoir un jour. Admettons qu’ils mettent en place cette Assemblée constituante dès le lendemain des élections, selon les termes promis dans leur programme, leurs meetings, podcasts, pétitions, brochures, etc.
Inscrire un principe dans la Constitution n’a jamais garanti sa mise en œuvre effective. La 4e République, en son temps, a introduit dans le préambule de sa Constitution des droits sociaux fondamentaux, tels que le droit au travail, à la santé et à l’éducation. Cependant, ces droits sont restés largement théoriques pour une grande partie de la population.
LFI se vante d’avoir fait inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution actuelle. S’ils ont pu faire passer cette mesure « révolutionnaire », disent-ils, imaginez ce qu’une 6e République, rédigée en partie par le peuple, apporterait comme mesures égalitaires ! Nous pourrions y inscrire, au hasard, des mesures écologiques, antiracistes, féministes ! Cependant, l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution n’a, dans les faits, pas changé grand-chose. D’accord, considérons que le « droit » d’avorter est garanti… Qu’en est-il des moyens ? Si le gouvernement réduit les aides du Planning Familial comme il s’y emploie ces derniers temps, tout le monde a le « droit » d’avorter, mais la « possibilité » de le faire est une autre paire de manches !
Même s’ils parvenaient à instaurer des mesures « radicales » dans la nouvelle Constitution, cela ne gommerait pas les inégalités pour autant. Faire croire le contraire, c’est au pire un mensonge, au mieux une naïveté de la part de la gauche réformiste. Dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, il est inscrit que « Les Hommes naissent libres et égaux en droit ». S’il suffisait de l’écrire dans un texte pour que ce soit vrai, le monde serait bien différent !
Un autre des arguments avancés est que la 5e République est une monarchie présidentielle, qui ne serait « pas cohérente » avec la « vraie » République. C’est cela qui aurait permis à Macron de bafouer le résultat des élections législatives de 2024. S’il est vrai que la 5e République concentre les pouvoirs entre les mains du président de façon particulièrement visible, ce n’est hélas que la suite logique d’un système déjà oppressif à sa base. En vérité, les Républiques ont toujours été un outil de domination d’une minorité sur la majorité ! Dès la Révolution française, les bourgeois ont pris le pouvoir afin d’organiser leur domination sur le prolétariat naissant.
Dans ces conditions, il est bel et bien utopiste de tabler sur l’espoir qu’une énième République capitaliste pourra nous apporter une France dépourvue d’inégalités sociales. La vérité, c’est que nous ne pourrons jamais compter sur le système actuel pour nous libérer. Un gouvernement mené par la France insoumise offrirait peut-être une courte respiration dans la dégradation de nos conditions de vie, mais nous serions bien vite rattrapés par le fait que ce sont les milliardaires qui détiennent le portefeuille ! Même le gouvernement bourgeois le mieux intentionné ne pourra se défaire longtemps des contraintes du capitalisme en crise.
Assemblées ouvrières contre parlementarisme
En appelant à une Assemblée constituante, LFI se pose en défenseur du droit du peuple à gouverner de lui-même. Bien que leur discours comporte des éléments de langage fortement inspirés du marxisme (jusqu’à suggérer l’idée de comités décisionnaires gérés par les citoyens), les députés insoumis oublient (sciemment) l’un des principes mêmes du marxisme : un gouvernement des travailleurs ne peut pas être instauré par une élite détachée des masses. Or, c’est exactement ce que constitue LFI : un parti dont les dirigeants sont profondément coupés de leur base militante (quasiment inexistante hors élections, démontrant l’échec de leur théorie de « mouvement gazeux »).

Ils constituent un organe séparé du peuple, celui des dirigeants réformistes. Il suffit d’observer ce que sont devenus les groupes d’appuis originels de la France insoumise, proclamés comme « la base » du mouvement en 2017, pour constater l’incompatibilité entre le réformisme et la démocratie ouvrière. Ces derniers ont presque tous mis la clé sous la porte, rendus inutiles par l’appareil bureaucratique du mouvement, qui dirige seul et sans aucun contrôle démocratique interne.
Un État socialiste ne peut être autre chose qu’un gouvernement de la classe ouvrière. Pour Mélenchon et ses députés, les organes démocratiques des masses ne peuvent pas dépasser le stade de comités de soutien à leur gouvernement réformiste. C’est caractéristique de leur manque de confiance envers la classe ouvrière. Pour renverser la classe et l’État capitaliste, les travailleurs ont besoin d’organes de pouvoir, pas d’une version glorifiée de la Convention Citoyenne pour le climat. Pour cela, ils ont besoin de mettre à l’épreuve les différents courants politiques, pour choisir des dirigeants prêts à défendre leurs intérêts jusqu’au bout. C’est l’ensemble de la classe ouvrière, libérée du temps de travail écrasant, qui doit pouvoir choisir consciemment ses dirigeants.
Est-ce seulement possible ?
Jusqu’ici, nous sommes partis du principe que LFI pourrait appliquer son programme et réellement appeler le peuple à élaborer une 6e République. Or, il est plus probable que l’aventure s’arrête avant même d’avoir commencé.
L’élite bourgeoise ne laissera jamais Mélenchon faire comme il l’entend. Il n’y a qu’à voir le résultat des dernières élections législatives pour le constater : bien qu’arrivée en tête, la gauche n’a jamais été appelée à constituer un gouvernement. La droite au pouvoir s’est lancée dans une grande campagne de déformation de la réalité, à base de « personne n’a gagné les élections ».
Dans tous les pays, la bourgeoisie a tôt fait de moucher la flamme utopiste de la gauche réformiste.
Au Vénézuela, Chavez avait proposé, en 1998, une refonte en profondeur des institutions via une Assemblée constituante populaire, ce qui n’est pas sans rappeler la proposition actuelle de Mélenchon. Mais très vite, la classe dominante, appuyée par les États-Unis, s’est liguée pour saboter le processus. Chavez avait pourtant été élu démocratiquement, mais cela n’a que peu d’importance lorsque les réformes menacent les intérêts des bourgeois.
Si Chavez n’a pas été renversé, le président péruvien Pedro Castillo, lui, n’a pas eu cette chance. Élu en 2021, lui aussi promettait au peuple une nouvelle Constitution. La convocation de l’Assemblée constituante a été assimilée à un « coup d’État » par les institutions péruviennes et Castillo a été arrêté le jour même. Incapable de rompre avec la légalité des institutions et de s’appuyer sur les masses, Castillo a subi un coup d’État et a été remplacé par un gouvernement de droite. C’est la même chose qui attend Mélenchon s’il porte réellement atteinte aux intérêts de la bourgeoisie.
Plus récemment, en 2024, la Roumanie n’a pas hésité à annuler le premier tour de ses élections présidentielles pour éviter l’arrivée au pouvoir du candidat anti-UE Georgescu. Pour justifier cela, ils ont prétexté une ingérence russe. Que cela soit réel ou affabulé importe peu ici : il s’agissait d’un prétexte pour discréditer un candidat qui allait contre l’ordre établi. Georgescu est un membre de l’extrême-droite roumaine, dont il faut combattre les idées réactionnaires, mais son écartement montre que les capitalistes n’hésitent pas à contourner leurs propres règles pour garantir un maximum de stabilité dans leur course au profit.
La seule possibilité de réelle démocratie consiste en la prise du pouvoir, sans intermédiaire, par la masse des travailleurs. En ciblant spécifiquement la forme du régime bourgeois, les réformistes veulent faire croire qu’il serait possible de changer le fond de ce système seulement à l’aide de changements institutionnels. En plus d’être stérile, cette démarche désarme complètement les travailleurs. Il n’y a rien de plus satisfaisant pour la classe dominante que de voir les dirigeants du mouvement ouvrier enjoindre les travailleurs à s’incliner devant la loi et les institutions.
Pour sortir de l’impasse, une seule solution sera durable : il faut rompre complètement avec l’ordre actuel. Le réformisme ne nous sauvera pas. Les masses ne peuvent placer aucun espoir dans la démocratie bourgeoise ; elles doivent s’emparer du pouvoir par elles-mêmes ! Cela ne sera possible qu’en sortant du capitalisme agonisant et en instaurant un véritable État ouvrier !